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Le blog du Shadokk !!!
30 juin 2005

Au détour d'un chien.

Thomas a passé sa jeunesse dans une petite ville nommée Clarence. Le genre de ville ou l’ennui perle à chaque angle de rue. Le genre de ville ou la télévision assume seule son rôle de fenêtre sur le monde extérieur et où la jeunesse semble flétrie en pleine croissance. Alors que la plupart des habitants considéraient la façade de la boulangerie comme rempart indépassable de leurs illusion, Thomas mesurait depuis qu’il eut l’âge d’imagination, les efforts qu’il devrait fournir pour entamer sa future perigrination.

Et c’est ainsi que peu après l’anniversaire de ses dix sept ans, il renonça à l’avenir qui était le sien, renonça à l’épicerie familiale, avec pour seule ambition de devenir, enfin et au mépris de tous, lui-même.

Son aventure avait commencé à germer il y a longtemps.

Tout jeune déjà, sa passion de l’écriture l’avait poussé à rechercher le lectorat qu’il ne pouvait trouver sur place. Clarence était une ville pragmatique, ses habitants aussi. Alors que l’attente d’un client, le cul sur une chaise, était perçue comme un travail à part entière, les heures d’écriture faisaient, quant à elles, figure de fantaisie inutile.

Pour cette raison, personne ne lisait. Personne ne souhaitait lire. Les mots couchés sur du papier étaient perçus comme le summum de la prétention et de la vacuité « faite homme ».

Thomas eut deux solutions. Soit se plier à l’ambiance locale et attendre que quelque chose survienne. Soit trouver, au-delà de ces murs, une paire d’yeux susceptible de se poser sur les quelques textes qu’il avait choisi de mettre en forme.

C’est ainsi que le jour des grandes vacances, alors qu’il n’avait pas encore dix ans, il mit en œuvre son projet. Chaque matin, durant les semaines suivantes, aidé des quelques cartes emprisonnées par le calendrier annuel des pompiers, il choisirait une ville, une adresse et un numéro de rue, comme ça, au hasard. Dans cette enveloppe dûment libellée, il glisserait une lettre expliquant son désir de correspondre avec quelqu’un de son âge partageant sa passion : l’écriture.

Les semaines passèrent sans que le facteur ne montre le bout de sa casquette.

Pourtant un jour une lettre parvint.

C’est ainsi que la correspondance épistolaire commença et évolua en un échange de manuscrits.

Les choses suivaient leurs cours jusqu'à ce que, peu après avoir soufflé ses dix sept bougies, il reçut une lettre à la calligraphie nouvelle. Quelqu’un, un éditeur, lui proposait de le rencontrer.

Thomas ne se posa pas plus de question que ça. Il prépara son sac et attendit que les lumières de la chambre familiale s’éteignent pour gagner la rue. Une fois dehors, il marcha en direction de la maison des Bradford. La mort des propriétaires avait amorcé sa décrépitude. A la lumière des lampadaires, la façade, ses deux fenêtres symétriquement juchés au dessus d’une porte écaillée, laissa la place à un visage balafré se tordant pour suivre le passage du jeune homme.

Il savait que s’il parvenait à rejoindre la départementale 17, le flux mécanique quasi continu  lui permettrait de rejoindre la prochaine ville.

Une fois à destination, exténué, il s’allongea sur le premier banc qu’il trouva.

 

La vie qui gagnait les rues le tira de son sommeil. Une fois débarrassé des quelques songes qui s’attardaient sur ses paupières, il plongea sa main dans sa poche. Il y tira un papier sur lequel était écrit « 35 rue saint Jean ».

Thomas reprit la route, demandant, au hasard des rencontres où se trouvait sa destinée. Enfin il y parvint. La maison ressemblait à celle qu’il aurait imaginé pour un éditeur renommé. La façade, sur trois étages, imposait la certitude. Les quelques marches, enveloppées par les branches dépressives de deux saules, s’élevaient en un chemin rassurant.

Thomas s’engagea jusqu'à la porte qui, semblant attendre son arrivée, s’ouvrit. Etrange coïncidence se dit-il avant de pénétrer à l’intérieur.

Après s’être annoncé de vive voix, il remarqua, posée sur un petit guéridon ensoleillé, une enveloppe à son nom.

Il la prit, la décacheta. Celle-ci l‘invitait à monter à l’étage, choisir une chambre et se mettre à l’aise. Ce qu’il décida de faire.

Il monta le large escalier en colimaçon. Au premier étage, tel un couloir d’hôtel, une longue lignée de portes se succédaient jusqu'à se perdre dans l’obscurité. Il en fut étonné. Il ne lui avait pas semblé que la bâtisse fût si large. Sur chacune d’entre elle, une petite étiquette indiquait quelle était la pièce protégée.

« Chambre d’amis n° 3 ». Il entra et referma la porte derrière lui.

De chaque coté des volets fermés, des pâles rayons essayaient désespérément de pénétrer la pièce.

Lorsque sa vision se fut habituée à la quasi obscurité, il distingua une forme étrange sur la chaise située droit devant lui.

Celle si prenait corps en une sorte de gigantesque dog allemand. Thomas, laissa échapper un petit cris.

       -      « Ah désolé de t’avoir fais peur » dit le chien.

Thomas le regarda interloqué.

-        « je t’attendais »

        -     « … mais ce n’est pas possible » dit le jeunes homme tandis que ses mains tâtonnaient à la recherche d’un interrupteur.

L’ampoule colora la pièce.

C’est alors qu’il reconnu le canidé assis devant lui. Mais il n’était pas seul. A sa gauche un homme filiforme dont la tête était enserrée d’un Stenson, lui fit un geste amical de la main gauche tandis que la droite secouait une sorte de clavecin. L’esprit de Thomas s’éclaircit lorsque l’instrument ouvrit les yeux et commença à jouer une musique qui, jusqu’alors, n’avait existé que dans sa tête.

Il roula les yeux sur sa gauche. La pièce grouillait de formes des plus étranges et pourtant tellement familières. Epouvantail à tête de citrouille, sorcière caricaturale d’un mètre trente sept, bottes ailées et sceptre magique. Un forgeront étriqué dans un habit de cuir faisait un bras de fer avec un homme en armure.

-        « Vous êtes les personnages de mes histoires, comment cela est ce possible ?? »

Le chien le regarda un sourire aux lèvres, tu étais prisonnier et malheureux dans cet univers qui ne te comprenait pas. Alors, nous nous sommes organisés pour te faire venir ici. Tu sais, nous sommes tous impatient de te voir donner vie par la plume.

       -     « C’est…complètement fou… »Thomas fit demi tour sur son talon droit, décidé à sortir de cette pièce. Rien n’y fit, le chien se tenait toujours face à lui à coté de l’homme au Stenson.  Il tenta de se détourner à nouveau. La pièce s’étira et, telle un élastique, vint retrouver sa forme originale.

Mais, qu’est ce qu’il se passe !

Thomas eut beau tourner et retourner sur lui-même, la même image se recomposait face à lui. Jamais il ne fut en moyen de trouver la poignée de cette porte qui lui avait permis d’entrer dans la « chambre d’amis n° 3 ».

Le lendemain matin, les parents du jeune Thomas, 23 rue le Corbusier à Clarence, voulurent réveiller leur fils.

A leur grande surprise, celui-ci était debout au milieu de sa chambre. Il regardait fixement le mur devant lui, dodelinant d’une jambe sur l’autre, et murmurant une litanie incompréhensible. Rien ne fut jamais comme avant.

Les médecins dirent de lui que, frustré de ne pouvoir partager son monde imaginaire, il était resté coincé quelque part, entre ses histoires et lui-même.

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