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Le blog du Shadokk !!!
24 juillet 2005

Une prestation sur mesure

Comme tous les matins, à sept heures et quart, le réveil immergea Monsieur Y dans sa réalité quotidienne.

-        « Arg, quel jour ? Lundi.  Je hais le lundi. D’ailleurs, je hais les autres jours aussi. »

Comme s’il eut voulu s’éloigner de vapeurs mortifères échappées de son lit, il roula sur le coté.

Il tendit l’oreille par delà la chambre. Une pluie de gouttes noires heurtait la cafetière. Des effluves acidulés se propageaient dans l’appartement. Il sourit.

Comme à l’accoutumé, il intercala méthodiquement sur la table de la salle à manger, les produits de première nécessité. Nutriments corporels : café, toasts et jus d’orange. Nutriment spirituel : le journal.

Portée par les premiers rayons du soleil, une ombre traversa la pièce et le coupa en plein ouvrage.

Un amas difforme cherchait à s’étirer vers le plafond. Ses diverses stries multicolores, bleues, vertes, rouges, donnèrent corps à une sorte d’immense chenille.

«  Foutus dossiers ! », murmure-t-il pour lui même.

« Saleté. Toujours plus grosse. Tu comptes m’avaler, hein ? Les vies que tu croques chaque jour ne te suffisent pas ?! »

Ouais voilà, c’est ça mon boulot. Des dossiers. Je sauve des gens ou… du moins… je suis censé les sauver.

Je suis juriste, spécialité « cas désespérés ». Je m’occupe de ceux qui ont été mis de coté, des boulets de la société.

 

Au fond, c’est étrange. Je ne sais pas si je sers véritablement à quelque chose. Combien s’en sont tirés ? Hein ? Deux trois; va savoir. De toute façon, lorsque la paperasse arrive sur mon bureau, il est déjà trop tard. C’est ce qu’ils disent au ministère. Personne n’en veut de mon boulot. Je les entends murmurer ici et là. Je sais ce qu’ils pensent de mon poste.

Le 333, « bureau des causes perdues », c’est chez moi. Il parait que je m’en sors bien. La plupart de mes prédécesseurs ont craqué rapidement à ce qu’il semble. Des petites natures, des ramollis du bulbe, c’est moi qui vous le dis. ‘pas de place pour les couards.

Bon, c’est vrai que ça n’a pas été facile tout de suite, mais j’ai un secret. Se donner le temps. Voilà, c’est aussi simple que ça. Se donner du temps pour s’habituer, s’imprégner, pénétrer les failles et les rouages. Absorber son environnement.

Le corps humain est une  machine subtile dotée d’une faculté d’adaptation inégalée et inégalable. Il faut simplement savoir la manier avec tact.

Patience. Et puis, une fois ces formalités d’usage dépassées, ça roule tout seul.

Comment ça madame vous ne pouvez pas payer ? Allez, faites un effort. Votre salaire vous permet à peine de subvenir à vos besoins et à ceux de votre fils ? De votre fils dites vous ? Ah voilà, et il à quel  age ? Treize ans ? Très bien. Vous n’êtres pas sans savoir que notre armée est toujours à la recherche de bonnes volontés, madame. Ah ! Écoutez, c’est ça ou la prison ! Très bien. Signez ici.

Je les entends d’ici les ergoteurs. Mais bon, il faut bien le faire le boulot. 9 milliards et demi d’individu sur cette planète et combien d’improductifs ? Je ne sais plus ou mettre les dossiers.

De toute façon, tout est rationnel, notre monde est rationnel. Tu veux rester ici ? Ça se mérite !

Au départ, les choses étaient relativement simples. Jusqu’en 2010 on a fait en sorte de drainer les meilleurs éléments. Comme ça, sans contrepartie. Ils étaient content les africains et autres asiatiques de goûter à la prospérité. Le problème c’est qu’à renforcer « les utiles » au bon fonctionnement de la machine, il y a eu des jalousies. Et oui, d’ici et là, on a commencé à entendre des petites voix, du style : « c’est pas normal », « du travail pour tous », etc., bref ces vieilles rengaines du début du siècle.

La solution fut vite trouvée. On a continué à leur aspirer leurs « utiles » mais, en contre partie, on leur a refilé nos pauvres aux pays du sud. Pratique.

Ah, non, tout ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. Ca se prépare, ma bonne dame.

Comment a-t-on fait ?

On a fait un effort sur les langues. J’me souviens encore, au début du siècle personne ne voulait partir par peur de l’inconnu, peur de ne pouvoir communiquer. Allez hop, maintenant que vous parlez tous, y a plus de problème ! Donc, voilà, tout bénéf’. Les autres pays étaient contents et nous, on les entendait plus gueuler.

C’était le bon temps. La machine était repartie de plus belle. Et puis, quelques années plus tard, elle s’est grippée de nouveau. Le bordel, je ne vous raconte pas. Ce qu’il s’est passé ? C’est simple.

Les pays jusqu’alors pauvres on commencé à devenir compétitifs. Les populations du sud ont commencé à vivoter, à vivre, à bien vivre même, et quasi du jour au lendemain, ils nous ont dit : « vous êtes bien gentils mais gardez les, vos pauvres ».

Les cons. Enfin, les cons… faut pas que je me plaigne non plus puisque c’est grâce à ça que j’ai pu avoir ma promotion et passer chef de service « reclassement », qu’on appelait ça  à l’époque. « Reclassement » !  Oui, oui, je sais… c’est l’air du temps qui voulait ça, des euphémismes en veux tu en voilà. Bon, sur le coup j’ai un peu flippé. On m’a dit : « A toi de jouer, fait nous disparaître nos inutiles, t’as carte blanche ». Vous imaginez ? Plus facile à dire qu’a faire !

Comment je m’y suis pris ? J’ai eu une idée de génie. Faut se remettre dans le contexte. Au début du siècle on a pris conscience qu’il fallait protéger l’environnement. On allait droit dans le mur, qu’ils disaient les Verts de tous poils. Bon, il a fallu du temps pour que l’idée grimpe la pente mais une fois arrivée au sommet, plus personne ne pouvait l’ignorer.

Alors, le pic Hubert et la disparition du pétrole c’était …Laissez moi compter … 2013, oui c’est ça. … Après, y a eu  l’engloutissement du Danemark, de la Camargue, du Bangladesh. J’me souviens bien. Ce devait être… huit, neuf…en 2033. 

Donc, en 2033 on s’est mis à faire un grand décompte des espèces animales restantes, de celles qui avaient disparues. Et là on s’est dit : Oups, faut qu’on se détende ». Donc on a interdit la chasse.

Où est ce que je veux en venir ? Patience, patience. Vous ne voyez vraiment pas ?    J’y arrive.

Ça a été dur comme période. Trop de frustrations. Moi qui croyais que la chasse fonctionnait sur le respect des traditions. Tu parles. C’est un moyen, pour certain, de lâcher du lest et d’assouvir des instincts meurtriers trop présents.

A ne plus pouvoir titrer dans le lard des bestiaux, ça a commencé à grouiller dans la populace. Ça s’agitait sec, fallait de l’action.

‘ Y avait bien la guerre avec l’Iran. Mais avec les progrès de la technologie d’un coté comme de l’autre, le rescapé de guerre était un oiseau rare, voire, une chimère.

Et puis, après l’escalade nucléaire et la disparition de l’Irak et des Etats-Unis, ils étaient nombreux à avoir peur des retombées radioactives. C’est vrai, quoi. Déjà que fallait pas être très malin pour aller se battre avant, à l’époque du soit disant « zéro mort ». Alors maintenant !

Pas facile de trouver des volontaires.

J’en étais où, moi… Ah oui, j’avais carte blanche, je vous ai dit.

C’est à peu près à cette période que j’ai trouvé la solution de mon équation. D’un coté, on avait un paquet d’inutiles in refilables, inamovibles, des tiques de première. De l’autres des utiles de plus en plus frustrés. C’est pas bon la frustration. Ça empêche de bosser comme il faut.

Ce que j’ai fait ? J’ai proposé, au sein de cercles d’initiés, un sport d’un type nouveau. Une chasse des temps modernes, devrais-je dire.

J’vous le fais :

« Bonjour Monsieur, nous avons plusieurs prestations à vous proposer.

Plusieurs grilles, plusieurs échelles de valeurs.

Tout d’abord il vous faut déterminer le type d’individu que vous souhaitez chasser, ensuite le type d’instrument  que vous compter utiliser. »

-        Le type d’individu.

« Un large choix d’improductifs. Cible privilégiée : le vieux.

Je vous l’accorde, la chasse sera un peu moins sportive mais nous sommes là pour vous garantir le surcroît d’inventivité nécessaire pour parfaire votre aventure. Bien entendu, la chasse au vieux est  beaucoup moins chère et – cela reste entre nous- ils pullulent. Il vous sera donc facile de rester maître du scénario.

Sinon ?

Nous avons, un lot d’improductifs de sexe masculin.

Ah, il peut s’agir soit de jeunes en âge de combattre, mais que nous n’avons pu envoyer sur le champ de bataille. Soit de plus vieux, qui soit dit en passant, sans être réellement vieux, ne sont plus tout à fait jeunes ! Vous me suivez ? Oui, c’est ça , des quidams ont fait leur temps et dont on est quasi-sûr qu’ils ne pourront rien apporter de plus à l’édifice collectif.

Pour finir et seulement à titre exceptionnel, l’improductif de sexe féminin. Vous comprenez bien, qu’en cette période de décroissance démographique et de chute de la fécondité, le tarif pour ce type d’individu est  particulièrement élevé.

Quoi ? vous dites ? Ah, pour ce qui est du choix de l’instrument ?

Là aussi différentes formules.

Le premier prix est le « rentre dedans ». Je vous explique. Nous vous fournissons : (il compte sur les doigts de sa main)

-        une voiture de la marque de votre choix

-        les horaires auxquelles l’individu sélectionné se risque en dehors de son antre

-        ainsi que les frais de nettoyage.

Vous me semblez sceptique ? Qu’a cela ne tienne ! Si vous y mettez le prix vous aurez la possibilité d’avoir un contact un peu plus direct avec votre proie !

Le top du top- mais aussi ce qu’il y a  de plus cher- est la formule que nous appelons « souffle tiède ». Nous nous engageons à vous fournir les descriptifs de l’habitation de l’ « inutile », un double des clefs de domicile.

Vous n’avez plus qu’a sélectionner votre arsenal : pistolets, revolvers, voire, si monsieur aime aller à l’essentiel, un large choix d’armes blanches, couteau, marteau et batte de baseball, etc., etc.

( Il jubile, ses bras s’agitent de part et d’autres de son corps ; sa voix se rapproche de celle d’un forain)

En option, des micros caméras placées ici et là vous permettront d’étudier, par vous-même, ses habitudes !

Bien entendu, nous préparons votre alibi et assumons nettoyage post mortem. »

Alors ? Elle est pas bonne mon idée ? Ca fait bientôt dix ans que ça dure, et je dois dire que c’est plutôt efficace. Nous sommes parvenu à réguler de manière significative la population des inutiles.

Oui, oui, je peux dire que je suis… fier de moi. J’ai bien servi mon pays et ai contribué à la pacification sociale.

Ce soir là, ponctuel, Monsieur Y quitta le bureau à 19H. Comme à l’accoutumé, il prit à gauche, remonta le « boulevard Bonaparte » et tourna à droite dans la « ruelle de la caille ». Perdu dans ses pensées il ne fit pas attention au bruit de moteur qui grossissait derrière lui. Ce sont les phares qui le tirèrent de sa torpeur. Lorsqu’il prit conscience du danger qui le menaçait, il était déjà trop tard. La dernière vision qu’il eut de ce monde, fut celle d’une carrosserie noire suie, affublée d’énormes pares buffles.

Peu après le choc, un autre véhicule pénétra dans la ruelle. Il s’arrêta prêt du corps qui gisait là, inerte.

La moitié de la tête préalablement rabotée par les ailes du trottoir et les membres désarticulés, à la limite d’être emmêles, n’étaient pas sans rappeler une posture de pantin. Une marionnette que le propriétaire, appelé subrepticement, aurait laissé tomber sur le sol, sans plus d’égard.

Trois hommes sortirent de la voiture. Avec dextérité, les deux premiers attrapèrent les extrémités du « paquet » et le jetèrent dans  le coffre tandis que l’autre, à l’aide d’un jet haute pression, recouvrait d’oubli l’existence du dénommé monsieur Y. 

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